Nos Grandes Écoles (Gwo Fakilte nou yo)!

Repost of a great blog, click link to go to the orginal version: Version orginale: écrite et publiée par James Lachaud, PHD, le 18/01/2017 à 11:09

Deux critères reviennent toujours dans la classification de nos grandes écoles d’enseignement supérieur : l’admission très sélective (yo pa pran anpil moun) et le nombre d’étudiants mis à la porte (isit la nou pa nan jwèt ak etidyan, nap fout pi fò deyò). La capacité de nos jeunes et leur motivation sont le premier facteur généralement évoqué par nos brillants professeurs, en dépit du processus d’admission aussi sélective de nos grandes écoles (krèm peyi a pa bon !). D’ailleurs, beaucoup de professeurs font la vedette non pas comme le professeur-modèle qui a su inspirer et influencer la manière de penser et de faire de ses étudiants, ou encore leurs connaissances attestées et reconnues en la matière, sinon par leur réputation à « griller » leurs étudiants. « Isit la, se profesè ki mete plis moun deyò isit la, voye zo w ». C’est la grande mode, et ils sont légion ! Sans critiquer, pour l’instant du moins, ce processus de sélection à outrance et ce penchant à « nap fout yo deyò», je me pose la question comment ces deux critères peuvent indiquer, voir expliquer la qualité et la performance d’une institution d’enseignement supérieur par rapport à sa mission ?

Une institution d’enseignement est appelée, entre autres, à former des cadres qualifiés pour le pays de manière générale, et le marché du travail, en particulier. J’exclus ici de manière délibérée l’aspect de recherche et de production intellectuelle qui sera abordé dans un autre article. La formation de qualité des cadres doit passer par la mise en place d’un cadre agréable et propice à l’apprentissage et à la transmission du savoir-penser et du savoir-faire. Donc, d’une part, il y a la qualité de l’enseignement. Cette qualité englobe non seulement les programmes de cours dans son ensemble, mais aussi la qualification des professeurs qui dispensent ces cours. La qualification concerne tant leurs compétences, prouvées à travers leurs études ou publications en la matière, que la capacité de transmission de connaissances. Les premières sont généralement évaluées par leurs pairs lors des conférences ou par les comités de lectures des journaux, et la seconde par leurs étudiants ou les responsables des programmes d’étude. Si pi fò elèv ou pa ka pase yon kou chak ane, yon pwofesè dwe mete an keksyon kapasite l pou anseye kou sa ! Pwen boul!

D’autre part, il y a aussi le cadre agréable et propice à l’enseignement, en d’autres mots, l’environnement d’apprentissage. Cet environnement prend en compte à la fois des besoins des professeurs, incluant des espaces appropriés de travail, des frais pour les livres et aux journaux avec comité de lecture ; et ceux des étudiants, la bibliothèque digne de ce nom, l’accès aux bases de données, des personnes-ressources pour les aider. De plus, il faut aussi mentionner les espaces communs comme: la cafétéria, les toilettes toujours propres, le vrai site web (non pas des pages en perpétuelle construction), l’internet, les espaces de discussions, les activités physiques, les salles de conférence… Pour chapeauter tout cela, il faut qu’on ait une vision institutionnelle, la capacité organisationnelle, et les ressources humaines et économiques nécessaires. Pour ces dernières, il faut juste savoir comment et où les chercher.

Je suis de ceux qui croient que l’enseignement supérieur est trop important pour ne pas être soumis à un processus d’évaluation périodique, interne et externe. J’ai eu l’opportunité de suivre de près ou de participer à l’évaluation des cours et de programmes d’étude de cycle supérieur. Nombreux sont les critères retenus pour mener une telle évaluation, allant du nombre de cadres qualifiés qui ont bouclé les cycles d’études, la contribution sociales ou académiques des étudiants après leur cycle d’études ou encore des professeurs, l’intégration sur le marché du travail, la participation à des conférences nationales, régionales, internationales, l’environnement d’apprentissage, les ressources disponibles pour ne citer que cela. Tous ces critères renvoient au succès des personnes, étudiants ou professeurs, ayant participé au programme d’étude ou encore aux moyens et ressources mis en place pour avoir ce succès. Donc, tous ces facteurs renvoient une image assez positive pour l’institution et sa réputation, et non pas des critères qui créent la peur telle que notre fameux nap fout yo deyò. Cela ne signifie pas qu’on doit éliminer la rigueur dans l’évaluation des étudiants, si c’est le véritable facteur qui explique ce problème. Je suis pour l’excellence.

Par contre, évaluer objectivement le problème permettrait de trouver les problèmes associés et d’identifier les mesures nécessaires à prendre pour apporter des solutions. Cela réduirait la déperdition de nos jeunes qui font partie des plus intelligents du pays, je dirais, vu le processus très sélectif d’admission de nos grandes écoles. Aucune étude n’a été malheureusement réalisée pour comprendre l’avenir de ces jeunes, à notre connaissance. Cela épargnerait aussi le pays de pertes économiques énormes puisqu’avant tout c’est « notre argent » qui finance ces étudiants. En absence de données officielles sur ces couts, faisons des estimations brutes. Par exemple, renvoyer 300 étudiants en première année d’étude dans nos grandes écoles revient à des pertes explicites de 300 années-études payées par l’État haïtien. En supposant que les couts d’une année d’étude pour un étudiant à US 1000.00[1], les pertes explicites sont estimées à US 300,000 pour une année. Cela occasionnerait aussi des pertes implicites, par exemple ceci équivaudrait à une perte d’au moins 600 années sur le marché du travail, l’année scolaire perdue et l’année de reprise (dans la même ou dans une autre école). Avec un revenu moyen de jeunes cadres estimés à 20,000 gourdes par mois, la perte d’une année serait estimée à 144,000,000.00 gourdes (=600x12x20,000). À cela, il faudrait ajouter les couts sociaux et psychologiques qui y sont associés.

Repenser nos grandes écoles reste un impératif. Si l’excellence est primordiale, la définition et les critères d’évaluation de cette excellence sont à repenser ! Mais, est-ce que cela intéresse vraiment nos grandes écoles, c’est la question à se poser ?

 

N. B. Petite anecdote

Je me rappelle cet étudiant X, admis dans une université canadienne pour un programme de maitrise, voulait être dispensé d’un cours qu’il avait suivi et réussi avec brio dans l’une de nos plus grandes écoles haïtiennes. À mon grand étonnement, l’université canadienne l’aurait accepté après une simple vérification du syllabus du cours sur le site web de l'école. Avec de la gymnastique mentale, l’étudiant a pu expliquer (lire : justifier) qu'une (grande) école n’avait pas à ce jour un site web en plein XIX Siècle. Ne voulant pas discriminer notre grande école, l’université a demandé à ce que le syllabus lui soit transmis en pli cacheté et scellé. L’administration de l'école n’avait pas le syllabus, et le professeur qui avait dispensé le cours ne faisait plus partie du corps de professeurs. Finalement, je ne sais pas si c’est l’étudiant qui est vu pour un menteur ou notre grande école qui a brillé par son incompétence administrative. Pwoblèm pap fini !

[1] Il n’y a pas d’étude là-dessus à notre connaissance. Ce montant est fixé arbitrairement en prenant les couts de fonctionnement et l’amortissement des équipements et des locaux